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Les groupes sociaux face aux urnes

  • Carla Davailleau
  • 30 août
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

"Le vote Macron est le plus bourgeois de l'Histoire !" Ainsi affirment Julia Cagé et Thomas Piketty, économistes et auteurs de "Histoire du conflit politique, élections et inégalités sociales en France 1789-2022". Pourtant, les classes sociales semblent aujourd’hui en voie de disparition et leur recul apparaît comme une évidence. Alors, que fait-on des groupes sociaux face aux urnes ? Comment expliquer les comportements naissants des électeurs français ? Peut-on encore parler de vote de classe ? 


© Envato / Stockphoty
© Envato / Stockphoty

 

L’héritage historique : quand le vote était structuré par les classes sociales 

 

"Les gens pensent politiquement comme ils sont socialement. Les caractéristiques sociales déterminent les caractéristiques politiques" Paul Lazarsfeld, 1944 

En Europe encore plus qu’aux États-Unis, un grand nombre d’études sociologiques électorales ont mis l’accent sur l’influence de la situation socioprofessionnelle des citoyens sur le vote. Avant les années 70 en France, on peut effectivement parler d’un “vote de classe”résultant d’un clivage notamment entre les ouvriers qui auraient tendance à voter à gauche et les classes moyennes et supérieures qui, elles, porteraient leurs suffrages à droite. 

À ce moment-là, la classe sociale est un déterminant central dans les urnes, tout comme la religion, qui, dans certains pays comme l’Allemagne ou l’Italie, se place même en première position des facteurs d’influence en termes de sociologie électorale. Voter, à l’époque où l’individualisme se faisait plus rare, était aussi un moyen d’expression, une façon de raconter sa classe sociale et ainsi de renforcer le sentiment d’appartenance à celle-ci. 

 

Le déclin du vote de classe ? 

 

La baisse du nombre d’ouvriers, les effets de forte croissance des Trente glorieuses ainsi que la montée des “cols blancs” a traduit pour certains sociologues une “moyennisation” de la société, qui viendrait brouiller les frontières entre les classes sociales. Dans les années 70 et 80, on entrevoit la mort des classes sociales qui laisserait place à une société “moyenne” dans laquelle la majorité de la population graviterait autour du salaire médian. 

Effectivement, la structure socioprofessionnelle a profondément évolué et le niveau global de diplômés s’est élevé : en 1978, 30% des jeunes avaient au moins le bac à la sortie du système scolaire. En 2023, ils étaient 79%. Les bouleversements ne concernent pas seulement la sphère scolaire : on observe également un paysage politique profondément fragmenté et transformé avec la gauche de Mitterrand qui arrive au pouvoir en 1981 après 23 ans de domination par la droite. 


Ces bouleversements auraient conduit dans le milieu des années 80 à l’émergence d’une vision “social blind” de la société, autrement dit, “indifférente au social” qui supprime les représentations collectives fondées sur le critère de l’appartenance socioprofessionnelle. 

Ainsi, les citoyens deviendraient plus autonomes et critiques, faisant reculer le vote de classe. Mais alors, sur quels nouveaux critères se base la sociologie électorale pour analyser et comprendre le vote des Français ? Peut-on affirmer que la mort du vote de classe ? Ou cela ne serait-il pas qu’une illusion d’optique ? 

 

La persistance des effets sociaux sur le vote 

 


Si longtemps la gauche et la droite se sont essentiellement opposées en termes de valeurs socio-économiques, expliquant ainsi l’influence de la classe sociale sur le vote des français, un second clivage apparaît désormais autour des valeurs culturelles et écologiques, et cette évolution n’est pas sans conséquences sur les facteurs sociologiques de vote. 

Selon Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, “Le rapport subjectif au politique a remplacé le vote de classe. Ce n’est plus la position objective en termes de catégorie socioprofessionnelle qui va déterminer le vote, mais le regard que les électeurs portent sur leur propre situation au sein de la société.” Il est donc toujours possible d’établir une analyse du vote à partir de caractéristiques sociologique mais avec de nouveaux critères. Le chercheur affirme : “Ceux qui sont en bas votent RN ou LFI, ceux qui sont en haut votent Macron.” 


Le sentiment d’appartenance et de collectivité qu’offraient autrefois les classes sociales se fait de plus en plus faible, amenant les individus à voter en fonction de critères plus précis qui eux, divisent les classes sociales entre-elles. Par exemple, aujourd’hui, deux ouvriers partageant la même condition économique peuvent voter très différemment : l’un peut choisir La France Insoumise pour défendre le pouvoir d’achat et l’autre le Rassemblement National pour la sécurité. Un troisième peut même s’abstenir, par protestation. 

Sur les élections de 2022, Julia Cagé et Thomas Piketty sont formels : “On explique 70% des écarts de vote simplement avec la richesse, le revenu moyen, la valeur des logements, la profession, le diplôme, etc. En 1981, on expliquait 50%, en 1848, 30%". 

Ainsi, malgré une “moyennisation” de la société, les effets sociaux comme le niveau d’étude, l’âge ou encore l’appartenance géographique persistent et jouent un rôle déterminant dans le comportement des électeurs. Les classes sociales n’ont donc pas disparu mais se sont transformées, fragmentées et s’articulent désormais avec d’autres facteurs qui redéfinissent les clivages politiques. 

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