Gauche-Droite : deux faces dans une même pièce
- Etienne Domercq
- 27 oct.
- 3 min de lecture
Gauche, droite. Ces termes rythment la vie politique avec une telle évidence que l'on en oublie l'origine. Pourtant, cette distinction fondamentale n'est pas le fruit d’une théorie philosophique, mais bien d'une situation très concrète, presque accidentelle, un jour de 1789. Cette invention française est ensuite devenue une grille de lecture quasi universelle des démocraties.

1789 : Une naissance accidentelle
En pleine Révolution française, à l'Assemblée nationale constituante, les députés débattent avec ferveur de l'avenir du royaume. Le 11 septembre 1789, un sujet crucial cristallise les tensions : le droit de veto royal. Le roi Louis XVI doit-il pouvoir s'opposer aux lois votées par les représentants du peuple ?
Pour faciliter le décompte des voix dans une salle en ébullition, le président de séance prend une décision pratique : il demande aux partisans d'un veto "absolu", qui soutiennent un pouvoir royal fort, de s'asseoir à sa droite. Les opposants, favorables à un simple veto "suspensif" qui limiterait le pouvoir du roi, sont invités à se placer à sa gauche. Sans le savoir, ils viennent d'inventer le clivage politique moderne. Cette disposition révèle instantanément deux visions du monde : à droite se regroupent les "monarchiens", défenseurs de l'ordre ancien, tandis qu'à gauche s'installent les "patriotes", partisans d'une transformation radicale. Ce jour-là, la gauche l'emporte par 673 voix contre 325.
L'Ancrage : du Parlement à la Nation
Ce qui n'était au début qu'une commodité devient rapidement une habitude. Lorsque l'Assemblée quitte Versailles pour s'installer à Paris au manège des Tuileries, la répartition géographique se perpétue spontanément. À gauche du président, les partisans de la Révolution ; à droite, ceux qui lui sont hostiles ou souhaitent la freiner. Le véritable enracinement de cette distinction s'opère cependant sous la Restauration (1815-1830). Pour l'historien Marcel Gauchet, c'est "la vraie naissance de la droite et de la gauche". D'un côté, les royalistes contre-révolutionnaires ; de l'autre, les libéraux héritiers des Lumières. Pourtant, il faudra attendre le début du XXe siècle, et notamment le Front Populaire de 1936, pour que les termes "gauche" et "droite" se diffusent massivement dans le langage courant et structurent l'imaginaire politique de tous les Français.
Une opposition aux visages changeants
Si les étiquettes demeurent, leur contenu n'a cessé d'évoluer. Sous la Troisième République, le clivage se structure autour de la question religieuse : la gauche défend la laïcité, la droite le catholicisme d'État. L'affaire Dreyfus (1894-1906) redéfinit ensuite les camps autour des valeurs de justice et de nation. Avec la montée du mouvement ouvrier au début du XXe siècle, les questions économiques et sociales deviennent prépondérantes.
Le politologue Albert Thibaudet a théorisé ce mouvement perpétuel sous le néologisme de "sinistrisme" : en France, l'échiquier politique aurait une tendance à glisser vers la gauche. Les nouvelles formations naissent à gauche, repoussant progressivement les anciens partis de gauche vers le centre, puis la droite. Le Parti radical, révolutionnaire à ses débuts, est ainsi devenu centriste avec l'émergence des socialistes, eux-mêmes poussés au centre par les communistes.
Conclusion : Un héritage bien vivant
Née en France, cette “invention” a conquis le monde et offre un outil conceptuel “simple” pour penser la plupart des démocraties. Malgré les proclamations récurrentes sur sa "mort", notamment lors de l'élection d'Emmanuel Macron en 2017 et sa stratégie du "ni droite ni gauche", le clivage démontre une formidable capacité d'adaptation et est aujourd’hui plus que jamais ancré dans la politique française.
Comme l'explique Marcel Gauchet, la force de ces notions est d'être "indéfiniment ouvertes", capables d'intégrer tous les conflits depuis 1789 dans une même histoire. Plus qu'une simple classification, le clivage gauche-droite est une sorte de "notion-mémoire". Il est l'héritage vivant de plus de deux siècles de conflits sur l'égalité, l'autorité et le changement social, qui continuent de façonner nos sociétés.
Sources :
Vie Publique, Winock, Michel, 2018. L'opposition gauche-droite dans la vie politique française [en ligne]. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/268500-lopposition-gauche-droite-dans-la-vie-politique-francaise [consulté le 9 octobre 2025]
Sciences Po, Cogito, la revue de la recherche, 2021. Le clivage droite-gauche est bien vivant ! [en ligne]. Disponible sur : https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/le-clivage-droite-gauche-est-bien-vivant/ [consulté le ç octobre 2025]
Sénat, Junior Sénat, s.d. Droite et gauche : histoire d'un clivage politique [en ligne]. Disponible sur : http://junior.senat.fr/les-dossiers/droite-et-gauche-histoire-dun-clivage-politique.html [consulté le 13 octobre 2025]
Assemblée nationale, Assemblée nationale, s.d. La Révolution française - Les grands discours parlementaires [en ligne]. Disponible sur : https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/les-grands-discours-parlementaires/revolution-francaise [consulté le ç octobre 2025]


