Le Roman National : Un récit fondateur en perpétuel débat
- Etienne Domercq
- 9 oct.
- 3 min de lecture
Chaque nation s'appuie sur un récit commun de son passé pour construire son identité : c'est le "roman national". Il ne s'agit pas d'une simple liste de faits, mais d'une narration qui met en lumière certains événements, figures et valeurs. Son rôle est de donner un sens à l'histoire collective, de forger un sentiment d'appartenance et de fierté. En France, comme ailleurs, ce récit a été construit et transmis, mais il est aujourd'hui au cœur de vifs débats. Comment concilier l'unité du récit et la complexité du passé ?

Naissance du Roman National Français
Le roman national est une manière de "romancer" l'histoire d'un pays. Il choisit ses héros, ses grands moments et donne une impression de continuité, même si la réalité est toujours plus nuancée. C'est une construction qui vise à cimenter une identité collective. En France, deux figures majeures ont marqué cette élaboration. Au XIXe siècle, l'historien Jules Michelet a écrit une Histoire de France puissante, mettant en scène des figures comme Jeanne d'Arc pour révéler une "âme" française unique et unifier le pays. Plus tard, sous la IIIe République, les manuels scolaires d'Ernest Lavisse ont été fondamentaux. Ils ont diffusé ce récit dans toutes les écoles, avec l'objectif de former des citoyens fiers de leur patrie. Sur la couverture du "Petit Lavisse", on lisait : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle et parce que l’Histoire l’a faite grande. » Une histoire glorifiant les Gaulois, Clovis, Charlemagne, les rois bâtisseurs, et la Révolution comme achèvement des libertés.
Omissions et Lumières de l'Histoire
Par sa nature même de vouloir rassembler, le roman national tend à simplifier le passé. Il privilégie les épisodes glorieux et unificateurs, au détriment de ceux qui pourraient diviser ou remettre en question l'image idéale de la nation. Des exemples concrets d'omissions ou de minimisations incluent les conflits sociaux majeurs. Le rôle de la France dans la traite négrière et l'esclavage, ou les violences de la colonisation, ont également été longtemps passés sous silence. Des périodes de défaite nationale ou de régimes controversés, tel le Régime de Vichy, ont été traitées avec prudence. Enfin, la riche diversité des cultures régionales ou les apports des minorités ont souvent été lissés au profit d'une identité nationale jugée homogène. Ce travail de sélection historique a permis de construire une identité forte, mais il a aussi alimenté les critiques des historiens, qui cherchent à aborder le passé dans toute sa complexité, même ses aspects les plus douloureux.
Le Débat Actuel : Quelles Histoires pour Quelle Nation ?
Aujourd'hui, la question de comment raconter l'histoire de France est plus vive que jamais. Faut-il privilégier un récit inspirant, quitte à le simplifier, ou une histoire complète, même si elle est plus complexe ? Ce dilemme se manifeste à travers différentes approches. L'exemple d'un "récit triomphant" est illustré par le Puy du Fou. Ce parc historique, grand succès populaire, propose une vision narrative forte de l'histoire de France, souvent héroïque et centrée sur la Vendée. Les historiens critiquent cependant cette approche, la qualifiant d'orientée, de simplificatrice, voire de "révisionniste" (réécriture du passé à des fins idéologiques), car elle privilégie un certain message au détriment de la nuance historique. À l'opposé, l'historien Patrick Boucheron propose une autre vision : plus qu’un bloc homogène, la France se présente comme un assemblage de fragments, marqué par la variété des influences et les ruptures qui l’ont traversée. Son travail vise à intégrer la complexité des apports et des trajectoires pour une histoire plus inclusive et moins homogène. Ces deux exemples illustrent la difficulté de choisir le récit historique qui réponde aux attentes d'aujourd'hui.
Le roman national reste un pilier essentiel pour la cohésion d'un pays, mais il est aussi un sujet de débat intense. Sa force réside dans sa capacité à créer un lien, mais sa faiblesse peut être de masquer certaines réalités. La discussion autour de son écriture est un signe de vitalité démocratique. Il ne s'agit pas de l'abandonner, mais de trouver l'équilibre entre un récit fédérateur et l'exigence d'une histoire scientifiquement rigoureuse et pleinement assumée, avec toutes ses nuances. C'est à travers cette confrontation des récits que chaque génération redéfinit son rapport au passé et, par extension, à son identité présente et future.
Sources :
Nora, P. (dir.). (1984-1992). Les Lieux de mémoire. Paris : Gallimard.
Le Monde. (2016, 28 septembre). « ‘Roman national’, ‘récit national’ : de quoi parle-t-on ? » [en ligne]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/09/28/roman-national-recit-national-de-quoi-parle-t-on_5004994_4355770.html [consulté le 22 septembre 2025].


