France, pays de la grève : les racines d'une singularité.
- Etienne Domercq
- 30 août
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 sept.
De La Liberté guidant le peuple de Delacroix aux Misérables de Victor Hugo, des grèves du Front Populaire à celles de Mai 68, l'imaginaire français est peuplé d'images de révolte.Pourtant, cette réputation mondiale de "Gaulois réfractaires" se heurte à une réalité paradoxale : comment la France peut-elle être perçue comme la championne de la contestation alors que son taux de syndicalisation est l'un des plus faibles d'Europe ?L'explication n'est pas quantitative. Elle est historique, politique et culturelle.

Un héritage de défiance et de confrontation
Les racines de cette culture de la confrontation plongent dans l'histoire.À la Révolution, la loi Le Chapelier de 1791 interdit toute association professionnelle, forçant le mouvement ouvrier à naître dans la clandestinité. Cette interdiction a forcé les revendications à s'exprimer dans la violence.Les différentes révoltes des Canuts à Lyon en 1831, 1834 et 1848 en sont le symbole le plus tragique. Ces ouvriers de la soie, qui réclamaient simplement l'application d'un salaire minimum, furent réprimés dans le sang par l'armée.Leur devise, « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », a marqué les esprits, ancrant l'idée que l'État n'était pas un arbitre neutre mais l'allié du patronat. Lorsque les syndicats sont enfin autorisés par la loi Waldeck-Rousseau en 1884, soit près d'un siècle plus tard, ce n'est pas le fruit d'un pacte de confiance, mais une concession arrachée par la lutte.Cette histoire a forgé une conviction durable, validée par les grands moments sociaux du pays : ce sont les grèves massives de 1936 qui imposent les congés payés ; c'est la grève générale de Mai 68 qui aboutit à une hausse historique du SMIG.
Du conflit social à l’affrontement politique
Cette méfiance historique alimente une philosophie où le syndicalisme se conçoit comme un contre-pouvoir, amplifiée par la structure très centralisée de l'État. En France, un conflit majeur sur les retraites ou les transports se transforme vite en un affrontement politique avec le gouvernement.La rue devient alors la principale scène du conflit. Plutôt qu'un simple décompte de "jours non travaillés" comme en Allemagne où la cogestion favorise le dialogue en entreprise, la grève "à la française" est une manifestation bruyante et visible. C'est un rituel politique, un spectacle médiatisé qui puise sa légitimité dans cette culture romantique de la révolte, pour affirmer sa force avant même de s'asseoir à la table des négociations.
La condition du dialogue
La France est donc moins un pays où l'on fait plus grève, qu'un pays où la grève conserve une légitimité, une visibilité et une charge symbolique uniques, façonnant son identité bien au-delà des simples relations de travail.
Car son histoire a enseigné une leçon fondamentale : la grève n'est pas perçue comme un échec du dialogue, mais comme une condition préalable pour établir un rapport de force équilibré.


